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La vie absurde de Mr Zag

21 mars 2024

Quelqu'un a mis le feu au ciel

Quelqu’un a mis le feu au ciel. La fumée survole les  barres de Lego aux carreaux vitrés. Dedans, des destins précieux se jouent.  Brume étourdie sans destination, l’Alaska  danse au-dessus de Paris. La pluie tombe sur une colonie de fourmis. Le chat ne se doute de rien, en boule entre deux coussins. Le Télégraphe s’agite. Un garçon de café au tablier d'un noir funèbre valse entre les tables. Tim Burton n’est pas très loin. Les pingouins vêtus de Chanel trinquent au temps qui passe. Ne rien faire dans la froideur de l’hiver est un luxe de riches,  le châtiment des pauvres. Quelqu’un a mis le feu au ciel. Un rayon de soleil kamikaze perce la mer de nuages agitée. Faisceau divin réconfortant pour mortels.  Brutus n’est pas très loin.  Les arbres nus se prennent dans les bras. Le  couturier se bat avec une fermeture éclair. Dans l’octogone, une aiguille transperce un bouton solitaire supporté par une foule de bouloches déchainées.  Quelqu’un a mis le feu au ciel. Il se met à pleuvoir. Les canadairs célestes lâchent les gouttes du paradis. Le parfum d’un café libanais s’échappe d’un des appartements d'une tour de béton qui taquine les nuages.  La télévision crache son venin aux passants. La guerre et les mensonges se tiennent la main entre deux pintes de bières. Les paumes gercées par l’inhumanité, les bombes que les gamins palestiniens ne devraient jamais côtoyer ailleurs qu’à la piscine.  Le goût amer du houblon dans la bouche, du chlore aussi. Les pistes de goudron s’emballent. Un bus électrique trop silencieux s’avance.  Sur les fenêtres, de la buée. Des regards pensifs et de l’autre côté un pigeon à la patte estropiée qui se voyait déjà  roi du monde en touchant sa pension d’invalidité. Quelqu’un a mis le feu au ciel.

 

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24 mars 2023

LES BAVARDS DE MINUIT

Après minuit, tout le monde est bavard. Va savoir pourquoi, la nuit transcende. Les langues se délient et les corps brûlants dansent sur des lits trop petits, au milieu de draps en boule qui se sentent de trop, parce qu’à cette heure fatidique où les Gremlins cherchent de la chair fraîche, il fait trop chaud pour être rationnels, même en hiver, même en ce samedi glacial où quelques fantômes à l’haleine chargée arpentent les rues strasbourgeoises, lorsque les bourgeois en manteaux épais croisent les galériens briseurs de cadenas trop fragiles.

Demain, tout sera différent. La lumière amènera avec elle son lot de vérités, une gueule de bois, de vagues souvenirs, des vagues à l’âme, une cicatrice sur le mollet, un reste de pizza pour absorber l’excès et tromper le silence du dimanche matin.

Les bouches soufflent de la poudre de nuage et les mains maltraitées se cachent dans des poches beaucoup trop profondes. À l’intérieur des bars, il fait comme jour, rien n’a changé. Les silhouettes passent et repassent, se frôlent, tentant de rattraper le temps perdu, de souffler après une semaine interminable, mordant à pleines dents dans des parts de tartes flambées assaisonnées à la passion, à l’éphémère, aux possibilités infinies d’être quelqu’un d’autre jusqu’à la fermeture. Les sourires se cherchent, les vannes fusent, ça tire à balles réelles entre potes qui s’aiment. Ils savent que tout ça n’est qu’une farce, un jeu, pour mettre de côté encore quelques heures, des termes d’économistes, l’inflation, la dette, les crédits à la consommation et les macaronis au jambon.

 

S’enfuir par la pensée, mener l’existence comme si tout pouvait s’arrêter d’un claquement de doigts.

 

À minuit, tout est permis. Se prendre pour Ryan Gosling en avalant un shooter de vodka d’un air mystérieux. Humer cette odeur si particulière de sueur, de bière, entre deux clopes sur le trottoir. Demander du feu et se rendre compte que l’ombre qui tend son briquet a des yeux verts de dingue, que la braise au bout de la tige de nicotine illumine des fossettes enfantines et que ce soir, pour une fois, le tabac ne tue pas, mais offre la possibilité à deux inconnues de se sentir vivantes, comme si elles se connaissaient depuis toujours, comme des sœurs, des amies, des amantes. Les prénoms fusent et claquent. Le parfum de son cou attire les vampires sensuels. Ces petits moments figés dans le temps giflent la routine, la débrouille presque quotidienne pour boucler les fins de mois, pour se mettre quelque chose sous la dent et ne pas avoir froid, emmitouflés sous des couches de couvertures.

Demain, elle passera la journée à mettre des annonces sur Le Bon coin, Ebay ou Vinted pour vendre des vinyles qu’elle n’écoute plus en échange de quelques euros. Elle fera les petites annonces pour se trouver un job, le soir et les week-ends, pour compléter sa bourse annuelle de 5965 euros. Ce n’est pas grand-chose, mais elle se sent privilégiée parce qu’elle sait que d’autres ne vendent pas que des disques ou des vêtements pour payer leur loyer, mais leur corps, au diable qui possède une CB.

 

Il s’en faut de peu pour que la lassitude d’un combat presque permanent mette un coup d’arrêt à ce défouloir festif mais elle se reprend, animée par les doutes peut-être, mais prête à aller au combat, à la finir cette licence en anglais, à se relever après être tombée, à bousculer les certitudes des Nostradamus de comptoir, à la fois philosophes, géopoliticiens, sociologues, qui prétendent d’un air nonchalant que la jeunesse actuelle n’a plus le sens de l’effort, qu’elle est irresponsable, sans culture et curiosité, que c’était mieux avant, qu’il faut être fou pour faire des enfants alors que le monde part en sucette, que l’Ukraine saigne et que Poutine est à deux doigts de balancer une bombe nucléaire.

 

Il y aura toujours des rêveurs et des rêveuses, des optimistes dont le seul crime sera d’y croire, même un peu, d’allumer la lampe de nos yeux, de taguer des murs et d'affronter une armée de Tortues Ninja à l'haleine de gaz lacrymogène,  de se tromper pour mieux recommencer, de jouer de nos faiblesses pour s’extasier d’un petit rien, d’un rayon de soleil au milieu des ténèbres, d’un pissenlit entre les pavés, des beautés presque invisibles qui nous rechargent.

 

Jusqu’ici, tout va bien.

 

Le sommeil cherche à s’imposer, mais elle résiste, la faute à des lèvres joueuses, à l’ivresse du moment, à cette mèche de cheveux qui lui envoie un message en morse, à la beauté du ciel qui remet tout le monde à sa place, à la grâce des étoiles vagabondes bordant la Cathédrale, aux chevaux de métal qui klaxonnent au feu rouge, à l’aube honteuse encore en PLS.

 

À minuit, tout est permis, dans le silence des parcs sans enfants, loin des flashes aveuglants, sur les balcons d’appartements vides de la Krutenau où les géraniums se roulent des pelles clandestinement, dans le miaulement d’un chat paumé, dans l’explosion d’un souvenir humide, des freaks intérieurs qui s’emparent de nos vestiges orgueilleux. Elle murmure quelque chose sans vraiment savoir quoi, fixant un type en t-shirt qui urine contre un arbre innocent. Elle se met au hasard de deviner son âge, avant de renoncer, happée par une paupière étincelante, les ailes d’un papillon au fard ébène.

 

Tout se trouble. Plus n’est vraiment important. Elle se retire dans le creux des reins de la lune, frissonnant de plaisir, poussant un cri sans scrupule.

 

Elle peut entendre son propre délire et sentir légèrement la mélancolie monter, moquant le temps qui passe, naïve derrière un verre de Sylvaner, serrant sa peur contre son cœur, mais dans cette grave poésie qui se mêle au bruit tranquille de la pluie et du vent, elle se sent vulnérable, libre, triomphante, comme si il était minuit pour toujours.

8 mai 2020

And nothing else matters

 

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Y avait du vert dans tes yeux et un peu de marron aussi et puis ce matin en me réveillant,   y avait du noir, un texto maudit se déployant sur un écran fissuré et puis y avait plus rien, subitement j'ai suffoqué de la vie par ton absence.

La veille, durant la nuit , un corbeau traversa mes pensées, oiseau de mauvaise augure annonciateur de nouvelles qui serrent les tripes. J'ai hésité avant d'allumer mon téléphone, par peur d'être déshérité de ton amitié. Nous nous parlions encore le 18 avril, tu disais t'être endormi avant notre apéro en ligne. Y avait ta façon de faire l'imbécile et ce regard malicieux entre le blues  tremblant de tes mains. Y avait notre première cabane au milieu des ronces et des courses à vélo  sans freins au milieu des champs de blés à faire des figures sous le ciel étoilé. Nous nous sommes un peu perdus de vue parce que la vie traîne les grandes personnes  là où elles ne veulent pas aller,  là où les gamins se recroquevillent,  mais y avait toujours ce lien invisible qu'ont les frères de coeur destinés.  Un concert au Molodoi ou à la Laiterie de temps en temps,  de la sueur sur les cartons d'un déménagement, une clope devant la porte de l'immeuble à se geler les doigts, à refaire le monde, nous revoyant gamins à écouter Nothing else matters de Metallica. Y avait ta vieille Volvo et ses sièges chauffants en cuir, des trajets jusqu'en Belgique pour arpenter des festivals crapuleux et dormir dans une tente trop petite en été.  Y avait nos fous rires, nos doutes, la peur de vieillir et de devenir fous. Y avait  des concours de plongeons, de bombes et d'apnée, des barbecues improvisés autour d'un feu  aux flammes arrogantes, des silences qui en disaient long lorsque le vide serpentait sur ta route et que  l'ombre des démons se confondait avec ta silhouette courbée.                                                   

Y avait nos parties de Playstation, Tekken, Mortal Kombat  et GTA, les devoirs faits  à la va vite  et des un contre un au basket à imiter Michael Jordan avec un ballon de foot dégonflé.  Y avait Pink Floyd, Sepultura et Daft Punk, une pizza américaine avec de la viande hachée et un oeuf trop cuit, une barquette de lasagne monstrueuse,  le drive du Mcdo du dimanche soir où tu mangeais pour quatre.                                                                                     

Y avait ta vieille Peugeot trafiquée au guidon torsadé, ta Fender  noire mal accordée et un tas de bandes dessinées sous ton lit. Y avait les soirées au Tigre, à gigoter sur Smash Mouth en sirotant une Franziskaner mousseuse, des spaghettis à la mayonnaise et au gruyère râpé à quatre heures du matin et un vieux DVD de l'Arme fatale pour récupérer le lendemain.                                                                                               

Y avait Placebo à la Foire aux vins, ton grand écart entre deux tabourets branlants  et ta façon de réparer naturellement tout ce qui était cassé.  Y avait ton rire si particulier, celui d'un gamin qui risque de se faire attraper,  les courses poursuites avec les chiens sauvages du quartier et nos rêves d'adolescents attardés.                                                                       

Y avait tout ca et plein de choses encore que je ne pourrai pas expliquer mais qui sont là où personne ne pourra jamais les chercher. Des souvenirs pour l'éternité, dans le regard de ton filleul qui aura eu la chance d'avoir croisé ton chemin durant ses onze  premières années, dans mes prochains moments de bonheur, dans la faiblesse des jours difficiles.        Je chercherai ta présence en relevant la tête, certainement pour te sortir  d'une fête avec Lemmy Kilmister et Jimmy Hendrix. Profite bien du paradis et de ta liberté, l'enfer c'est terminé.  On se retrouvera sur un nuage à pisser sur les passants dans une quarantaine d'années ou avant, si je fais la rencontre d'un  AVC.                                   

En attendant, tu continueras d'exister à travers ceux qui t'aiment mais  tu vas beaucoup me manquer, mon frère, mon frangin, mon copain, mon poteau, comme le chantait Renaud.  Aujourd'hui, plus rien n'a d'importance.              

4 mai 2020

Aux masques citoyens!

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© https://www.pikist.com/

 

Ce soir, j’ai l’impression d’avoir six ans et de sentir arriver nerveusement la fin des grandes vacances. Mon cartable est prêt. Mes vêtements méticuleusement repassés trônent sur un cintre en bois. Une élégante chemise crème. Un jean brut et un blazer assorti à une paire de chaussures noires cirées avec la minutie d’un légionnaire. J’ai la même boule au ventre que celle que j’avais la veille de chaque rentrée des classes. La découverte de ce nouveau collège, dans cette nouvelle ville où je ne connaissais personne, contraint de déménager à Strasbourg suite au divorce de mes parents.


C’était il y a presque vingt ans et pourtant, je peux encore sentir mon estomac chavirer en observant le défilement bien trop lent des minutes sur mon vieux radio réveil Sony. Le temps n’a pas la même consistance qu’on l’on soit heureux ou perdu. Les secondes paraissent éternelles dans le doute. Le silence de l’obscurité joue des tours à l’esprit qui se met à inventer des scénarios catastrophiques à chaque bruit suspect sur le vieux parquet ciré de l’appartement. Ça craque. Ça grince. Une mauvaise nouvelle potentielle attend derrière la porte, les pieds trempés sur le paillasson. Des dizaines de supputations enlacent ma lucidité. Que penseront-ils de mon appareil dentaire ? Dois-je raser ce duvet qui fait office de moustache et éclater ce bouton blanc qui nargue un front trop luisant ? Vais-je me faire un ami fidèle avec qui faire les quatre cent coups comme dans le film de François Truffaut ? Arriverai-je à m’intégrer ou raserai-je les murs en fumant secrètement des cigarettes aux toilettes ?


Mon imagination commence à me jouer des tours lorsque je devine la forme d’un monstre aux dents pointues dans l’ombre d’un arbre projeté au plafond. L’inconnu fait peur, mais le bonheur s’y cache si l’on ose un minimum se salir les mains, au risque de se tromper parfois, certes, mais c’est comme ça que nous apprenons à être autre chose que des morceaux de chair traversant la vie en la subissant. Qu’il est bon de faire des erreurs et de se sentir vivant. C’est de là que naissent les plus grandes expériences. Dans la chapelle de l’exil. Dans l’obstination et le raniment des âmes fatiguées. Caresser ses limites avec des doigts écorchés. Se courber pour ramasser un flacon de Mercurochrome et le faire éclater en éclat au travers d’un sourire rayonnant. Parce qu’au fond, nous ne sommes que de grands enfants jouant aux adultes, donnant des coups de pied dans des tas de feuilles invisibles et sautant dans les flaques boueuses de nos nouvelles responsabilités avec des souliers trop neufs.
Il est 19 h 07. Je stresse, mais en même temps, j’ai hâte de sortir de ce cocon imposé depuis plusieurs semaines. Mes ailes me démangent. Il est temps de reprendre mon envol et de côtoyer les silhouettes sans bouches dans ce nouveau monde masqué aux allures de cabinet dentaire. L’impatience me guette. Et si les dents trop blanches prenaient davantage possession du monde ? Et si les caries au SMIC pourrissaient silencieusement jusqu’à l’abcès ?
L’attente fut longue. L’éparpillement aussi, entre le doute et la raison, la lecture de quelques romans et des programmes flippant à la télévision. Nous avons passé trop de temps à nous regarder dans le miroir à jouer du violon avec la folie. Il y aura un avant et un après, mais le pendant brutal nous pendait au nez depuis bien trop longtemps. Nostradamus ricane en sirotant une bière pendant qu’une carte de France rasta défile sous ses yeux. Le déconfinement est acté.

One love,one heart. Let's get together and feel alright.

VERT – JAUNE – ROUGE. BFMTV sans Bob Marley, quelle tristesse.
Du 17 mars au 11 mai sans voir les copains, la famille et les collègues. Lorsque le maître d’école en costume annonça solennellement depuis Paris que l’année scolaire se terminait précipitamment, les cahiers à spirales volèrent tellement haut dans le ciel que des nuages touchés en plein visage tombèrent sur le toit des hôpitaux. Il se mit à pleuvoir des larmes de deuil entre les pales tranchantes des hélicoptères qui ramènent des anonymes sous respirateur. Les blouses blanches volèrent dans des couloirs trop silencieux où la peste tentait de prendre le contrôle. Des rats dans les poumons. La porte de la morgue qui claque en continue. Des crémations à la chaîne. Des visages ridés par milliers dont les yeux ne se rouvriront plus jamais. Des mauvaises cibles parties trop vite sans imperméables et sans parapluies. Un éternel éclair qui traverse l’horizon. Nous n’oublierons pas cet orage destructeur même si le soleil tutoiera à nouveau nos quotidiens.

Demain, au bout du chagrin, je me confronterai à nouveau à la rage des passants et aux cœurs généreux qui se languissent déjà. Toutes les larmes se ressemblent. Des moineaux se chamailleront dans les bras d’un cerisier encore tourmenté. La vie reprendra son cours entre chagrins et bourreaux, manteaux et couteaux, or et plomb, odeur de pain chaud et premières fleurs, guêpes toutes nues aux ailes d’argent, l’aurore de regards un plus confiants. De ponts en ponts entre les cygnes médusés. Ça sera beau au milieu de cette tragédie. Se déshabiller à nouveau de sa pudeur. Courir pied nu au milieu du bruit et de la fureur. Croiser les cils d’une oie sauvage dans le tram et broyer les blessures de l’isolement, même s'il restera les stigmates de cette période incertaine dans nos cous, la morsure étrange d’une frontière sans passagers, le contrôle des pièces d’identité pour traverser le Rhin.


Tout reste précaire et bancal comme une cerise orpheline au milieu d’un bocal. Il manque un truc pour caler ce meuble branlant. Le cri des bienheureux aux terrasses des cafés. La lueur d’un écran de cinéma pour ne pas vieillir trop vite. Un concert suave à se frotter aux peaux anonymes. L’échange de regards ardents sur la pelouse fraîchement coupée du Parc de la République. La passion fulgurante d’un baiser langoureux dans une impasse mal éclairée. La poussière d’une street food métissée. Entre les traces de sang sur le mur des EHPAD, la beauté des choses oubliées, presque anodine, à démêler le vrai du faux, à juger les gigolos qui se prennent pour des rois, ceux qui prenaient l’éphémère à la légère, crédules monnayeurs vendant leurs âmes pour une poignée de pissenlits dorés.

Dans la ville artificiellement endormie, entre ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas, un homme barbu imbibé de bière chantera sa version de la Marseillaise Place Broglie. Je peux l’entendre fredonner d’ici, cet acrobate qui gifle le vent avec des mots qui ne mentent pas. De rue en rue, il chantonne un air qui prend tout son sens aujourd’hui, comme Gainsbourg interprétait une version à faire pâlir Rouget de Lisle dans cette même ville, il y a quarante ans déjà.


Allons ! Enfants de l’Eurométropole ! Le jour de gloire est arrivé !
Contre nous de l’épidémie, le confinement sanglant est levé !
Entendez-vous dans les hôpitaux, mugir ces féroces virus ?
Ils viennent jusque dans vos bras, égorger vos fils, vos compagnes.

Aux masques, Strasbourgeois ! Formez vos bataillons !
Marchons, marchons ! Qu'un sang impur, abreuve nos sillons !

 

Demain il fera grand jour. Nous serons lundi. Un jour parfait pour fuguer à nouveau vers la vie. Peut-être même que s’il y a du soleil nous apercevrons le reflet du paradis et peut-être aussi que si nous tendons l’oreille, nous entendrons Christophe nous conter les vestiges du chaos.

Tu m'as tatoué sur la peau tous les vestiges du chaos - Dans tes yeux qui rêvent de précipice, tu glisses, tu verses tous les vices.

 

 

30 avril 2020

La semaine de soixante jours

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© Sergey Ashmarin

 

 

J’ai hâte de vous retrouver et de vous serrer dans mes bras les copains. Vous me manquez et le fait de tourner en rond dans un appartement minuscule de cinquante mètres carrés avec un chat paresseux, ne fait qu’amplifier ce sentiment. En plus Christophe est parti rejoindre Gainsbourg la semaine dernière. RIP Les Mots bleus – Aline.

Tout part en sucette en ce moment alors j’ai vraiment besoin de vous.


Je suis pourtant quelqu’un de solitaire, taciturne, préférant m’isoler pour rêvasser en écoutant de la musique du matin en soir, pour bouquiner tout ce qui me passe sous la main ou pour regarder de vieux films en noir et blanc jusqu’au petit matin. Ma mère dit que j’ai un regard nostalgique depuis toujours, comme si, même enfant, j’avais déjà l’âme d’un vieux baroudeur mélancolique, usé par des voyages aux quatre coins du monde, apaisé par des milliers de rencontres, des sourires, des destins romancés, comme si j’avais déjà trop pris et trop donné, comme si je n’avais déjà plus rien à dire, ayant compris au final, que nous ne sommes que des passagers hasardeux rêvant d’un ailleurs éternel encore plus beau, encore plus doux, d’herbe encore plus verte, pour accepter l’idée qu’un beau matin nous ne formerons plus qu’un tas d’os dans une boite en sapin achetée à un prix exorbitant avec le reste d’un prêt à la consommation.


Je suis de ceux qui se baladent les mains moites dans les poches en espérant que personne ne me regardera dans les yeux. Je suis ceux de ceux qui n’aiment pas attirer l’attention parce que parler pour ne rien dire me rend malade alors que le silence est un compagnon qui ne déçoit jamais. Pas un mot plus haut que l’autre. Pas de blessure. Pas d’ego démesuré, de narcissisme ou de mise en scène douteuse. Pas de phrases théâtrales à rallonge ou d’assiettes qui se fracassent au sol pour un oui ou pour un non, pour le choix de la couleur de la tapisserie ou le menu du déjeuner dominical avec la belle-famille. Le silence irrite même le diable, un écho muet qui se perd entre les tempes, une onde de fraîcheur invisible, une nuée errante, un esprit qui voyage sur place qui peut paraître hautain ou arrogant. Et pourtant. Ce n’est là qu’un refuge pour reprendre des forces avant de retourner à la bataille, une baïonnette au bout de la langue, les tranchées boueuses du paraître en ligne de mire.


Avant cet isolement forcé, je rasais les murs lors des mondanités et j’observais beaucoup les autres avant d’oser prendre la parole, de peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas être écouté ou de ne pas intéresser mon auditoire. Une espèce de fantôme en plein jour qui est là sans être là et qui se complaît à écouter les récits d’amis passionnés comptant leurs péripéties nocturnes, leurs désillusions, leurs amours, leurs doutes aussi, en hochant la tête pour compatir et rassurer avec les yeux. J’étais un répondeur sur lequel on laisse un message. J’attendais avec impatience l’arrivée de la nuit comme un poète attend sa muse, comme Baudelaire attendait une heure du matin pour oublier la tyrannie de la face humaine et se délasser dans un bain de ténèbres.


Désormais, je me rends compte que votre présence, même si elle était brève, est vitale. L’espace de quelques heures à la table d’un café à déguster une pinte de Bendorf ou de Matern ambrée avec vous, peu importe l’endroit, il y’en a tant à Strasbourg, parfois même un cocktail au gin et à la liqueur de rhubarbe concocté par l’ange du Botaniste.


Vous me manquez au point de vouloir quitter la colocation endormie de mes rêves avec Nick Cave, Jean Gabin et Charles Bukowski.


Les histoires de cul de Paulo me manquent. Sa façon d’exagérer lorsqu’il raconte ses performances au plumard comme si c’était un acteur porno membré comme un poney. Nous nous connaissons depuis l’école maternelle Paulo et moi, c’est vous dire. Le rire de truie de Fabien qui ameute les passants pensant qu’on égorge un animal au coin de la rue. La façon si particulière de Lucie de rouler ses clopes et d’expulser des ronds de fumée parfaits au-dessus de nos têtes. Il y a les troubles obsessionnels de Fred qui ne s’assoit que face au trottoir pour voir déambuler les jambes aguichantes des passants et qui paie toujours la première tournée par carte bancaire parce que le liquide l’horripile à force de perdre des billets un peu partout en fin de soirée. Le Croque sa mer du Croque bedaine me manque. Les tartes flambées en happy hour de What the fox me font saliver sur mon canapé. Nous nous crêpions le chignon au quizz du Dubliners parce que Paulo tentait de choper les réponses discrètement sur Google. Le vrai nom de David Bowie est bien David Robert Jones, j’aurais pu lui dire à Paulo, nous aurions peut-être gagné une place au paradis.

Il y avait la dernière séance au Star à regarder Massacre à la tronçonneuse tous ensemble en se goinfrant de pop-corn ou les films de Miyazaki au Vox pour seulement cinq euros. Il y avait ces balades nocturnes à vélo à la fermeture du Molly Malone à traquer le moindre kebab ouvert pour s’enfiler une dizaine de falafels brûlants et un dernier thé à la menthe pour éponger nos estomacs anesthésiés par des shooters de vodka. Nous tombions parfois de nos vélos, étouffant dans des fous rires hystériques, un spasme incontrôlé, rouges de bonheur parce que Chris avait sorti la blague la plus pourrie de l’année et que je renchérissais avec un rot ahurissant en imitant la voix de sa mère.

Y avait tout ça.

Y avait nous ensemble sur le banc derrière le Musée d’art moderne, à refaire le monde, à se prendre la tête sur le dernier clip de Time Impala ou la dernière chronique de Christophe Conte sur les Pixies dans les Inrockuptibles. Parfois Fabien lançait un son sur Spotify et se mettait à breaker sur le béton encore humide.
À force de regarder des clips de IAM, il s’est mis à se prendre pour Akhenaton. Chaîne en or qui brille. Petite moustache de gangster et un accent marseillais tiré au couteau qui ressemble plus à un accent corse voir belge. On se foutait de sa gueule parce qu’il a la souplesse d’un bout de bois Fabien. Petit corps malade qu’on le surnommait. Il se vexait dix minutes et puis tout était de nouveau comme avant. On n’a jamais su se détester Fabien et moi, pourtant on a essayés.


Tout ça me manque depuis le 16 mars, à trois heures du matin. Nous nous promettions de nous revoir la semaine prochaine, à la même heure et au même endroit, avec l’espoir de ne pas trop avoir la tête en vrac le lendemain.

 Elle commence à être longue cette semaine de soixante jours.

 

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22 avril 2020

Les nuages au-dessus des corbillards

© pong Koedpoln

 

© pong Koedpoln

 

 

Tout va de travers. Même les étoiles semblent déboussolées. La Grande Ours se risque à jouer en bourse pendant que Jupiter tise une Jupiler au PMU de Cassiopée. Les oiseaux métalliques somnolent au sol, cuvant du gasoil frelaté sur le tarmac silencieux de l’aéroport d’Entzheim, les ailes en deuil, privés de liberté, de passagers pressés et de cartouches de cigarettes détaxées.

Sur un siège où trône une tâche de vomi desséchée et un chewing-gum décoloré, les hublots alignés laissent transparaître l’ombre du fantôme d’une hôtesse de l’air déroutée, le regard perdu, orpheline de plateaux-repas transpirant le plastique et d’une chorégraphie répétée mille fois déjà. Un mille-feuille fade, sans vanille, surchargé à la vanité. Une dernière danse alors que l’engin se vide et qu’elle reste là, à geindre, les bras en l’air, à regarder la sortie de secours, un champ d’orties dans les yeux, quelques larmes s’égarant le long de son tailleur noir assorti. Le roi du bal se tire une balle dans la tête aux toilettes. Ryan erre dans un aéroport désaffecté, affecté par l’absence de fourmis aux valises trop remplies, de gamins qui pleurent, mi anges, mi démons, épuisés par l’attente, l’impatience dans les jambes, le décalage horaire, réconfortés par le sein gonflé d’une mère pompée de sa vitalité par des vampires culottés en couche-culotte.

Le liquide tiède coule en abondance. La morsure des dents de lait marque un cou aux tétons rosacés.

La Transylvanie s’invite à l’heure de la pénurie. Dracula est en télétravail. Frankenstein doit prendre des RTT. L’auto-laveuse glisse sur le sol trop propre à la recherche d’un mégot en PLS, laissant des traces de bave derrière elle, limace sous-payée d’un jardin aseptisé où les nains en uniformes de douaniers gobent des cachetons interceptés la veille sur un vol invisible en provenance de Bogota. Gotham City s’invite à l’improviste. Batman à l’équilibre précaire titube sur un escalator grinçant, s’accrochant inextremiste à la manche d’un Joker démaquillé. Nous ne pouvons plus nous cacher derrière de fausses excuses et faire comme si nous ne savions pas.

Le mal et le bien ne se reconnaissent plus après tant d’années de vie commune à se détruire pour avoir la garde des ruines d’une planète malmenée.

Interstellar, un buvard sur la langue. Langoureuse montée d’acide dans laquelle Matthew McConaughey se perd comme nous nous perdons dans une faille sans fond ou dans la vision épuisée d’une infirmière masquée penchée sur un puits où s’entassent les carcasses de nos petits vieux. La honte d’avoir trop tirés sur la corde d’un monde condamné à mort, à consommer, à prendre, à jeter, à coloniser un écosystème en CDD, à nous jouer des vivants, à humilier, violer, tuer, piller, jusqu’à ce jour où le bourreau cagoulé tapa d’un coup sec sur ce minuscule tabouret en bois qu’on appelle l’humanité et que les pieds dans le vide, nous gesticulons dans la promiscuité de nos appartements, cloîtrés comme les animaux d’un cirque que nous dévoilons à nos enfants en souriant, un paquet de pop-corn dans une main, une épée dans l’autre.

Pour un dernier shoot de farine coupée aux pesticides. Pour une boite d’œufs dont les poules pondeuses ne verront jamais le jour, le loup se cache dans les placards de nos cuisines surchargées. Les brebis innocentes sirotent un Spritz sur Skype afin d’alimenter les diatribes alcoolisées du soir. Les cloportes attendent le signal. La table est joliment disposée. Des assiettes en porcelaine. Des couverts en argent. Il y aura du sang sur les nappes et les plafonds trop blancs des EHPAD, témoins de trépas solitaires, pendant qu’au fond du couloir, quelques morts-vivants s’agglutineront sur des chaises inconfortables pour visionner des rediffusions de Question pour un champion.

Pour trois points. Comment en sommes-nous arrivés là ? 

Il est désormais temps d’être plus sage et d’écouter battre le cœur des nuages, d’inspirer un bon coup et de se laisser aspirer par le silence des boules d’ouate qui glissent dans le ciel comme des frégates dans un océan trop calme, sans tempête, les tempes douloureuses à force de tenter de ne pas se noyer dans les voix qui raisonnent le long des berges.

Eux ne jugent pas. Eux n’ordonnent rien. Ils passent et trépassent au-dessus des prés, si près de nous, grains de poussière à genoux, les yeux grands ouverts à vagabonder dans cette brume fumante, là où l’enfance a fait son nid, libres de plonger dans une piscine de pissenlits, d’ébranler la fatalité accrochés aux moustaches d’un dragon infini ou de faire d’une tâche dans le ciel un univers peuplé de baleines-licornes, de salicornes magiques et d’illusions dorées que personne ne pourra jamais nous enlever.

Une armée de lucioles se met en marche guidée par un ouragan d’Orangs-outans. La foudre endormie se découvre faisant tomber les draps de l’ignominie à nos pieds. La terre rit. Le feu jouit et se réjouit des retrouvailles. L’ardeur du soleil encore mouillé par la rosée du matin qui condamnera les traîtres d’avoir sucé les entrailles de l’univers jusqu’à la moelle pour assouvir la fringale de pseudos maîtres illuminés.

La tête en arrière, les mains derrière la tête, couchés dans l’herbe, les cadavres en sarcophages IKEA tentent de reprendre vie, perdus dans l’écume mouvante qui se déplace à la vitesse d’une serpillière. Leur existence défile comme cette ombre gigantesque à la forme du vaisseau d’Albator tissée par l’araignée du souvenir, entre deux cicatrices à la beauté agaçante. Leur sang se glace lorsqu’ils s’aperçoivent que le temps passe trop vite, que la honte, les remords, les sanglots, les ennuis n’y pourront rien.

Un jour, il sera déjà demain. Vulnérables assassins résumés à un tas de poussière cendrée comatant dans une urne en argent ou à une photo en noir et blanc posée sur un buffet branlant.

Les nuages en deuil eux, continueront de voler silencieusement derrière nos corbillards lustrés jusqu’à la fin des temps.

 

14 avril 2020

Même les mégots savent voler

 

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Un jour sans fin pourrait être le titre du film qui résume le mieux ma vie de confiné. Une routine organisée malgré moi, faite de passe-temps dont l’intérêt s’effrite au fil des jours. Gavage de séries sur Netflix – Freud, Messiah, I am not okay with this – Écoute massive de musique sur Spotify – Radiohead, Gorillaz, Ellioth Smith, Lucio Bukowski – Lecture à demi-concentré des Raisins de la colère en alternance avec quelques pages froissées des Inrockuptibles. Un article sur le dernier album des Strokes. Un autre sur les meilleurs duos féminins du cinéma. Susan Sarandon et Geena Davis Vs Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg.


Thelma et Louise Vs Melancholia.


Un résumé poétique de cette période étrange. Dédramatiser ou sombrer dans la folie. Tout est permis.

Quelques pots de Danette à la vanille gémissent sur la table basse avant de périr dans un dernier soupir sucré. Une flaque crémeuse sur la moquette en guise de cérémonie funèbre. Une cigarette roulée en cône en guise d’encens. Un slam d’Abd al Malik en guise de testament. Du frigo au paradis. De Strasbourg à Gibraltar. Un verre de Martini à la main, à écouter le prêche d’un cafard en costume sur BFMTV qui comptabilisent les morts comme des pots de yaourts périmés.

« Alors on se réveille chaque lendemain de ce qu’est notre existence
en ayant la conviction, chaque jour un peu plus profonde, qu’on ne mérite pas de reconnaissance.
Comment veux-tu qu’on pense autrement si personne nous calcule ;
Le temps presse, on est des êtres, pas juste une addition, une soustraction ou une division dans un de leurs calculs. ».

Bill Muray prend possession de mon corps, de mes jours mais aussi de mes nuits, au point de parler au plafond afin de lui demander quand nous pourrons redescendre dans la rue pour fouler l’herbe des parcs pieds-nus. À force de ne pas dormir, je finis par me poser contre la rambarde rouillée de mon balcon alors que les autres dorment paisiblement, balançant les mégots dans le vide, par ennui et pour voir si un mégot ça a des ailes et si ça monte directement au ciel. Mais rien. Un mégot, ça se crache au sol comme un mollard, une goutte de pluie, un pétale de géranium ou un migrant avec un coussin d’épines de roses fanées en guise d’oreiller dans l’anonymat d’un trottoir.

Le monde est bien silencieux à quatre heures du matin mais pourtant je distingue l’appel d’une luciole sur le balcon d’en face. Un SOS de nicotine. Du morse dans l’incandescence d’une cigarette. Je ne suis pas seul. L’ombre tire sur une tige qui m’indique le chemin d’un jardin comme un phare guide les chalutiers paumés. Cette présence anonyme me fait du bien. Je lui réponds par une succession de taffes fumeuses qui se perdent comme des songes dans le ciel étoilé. Et puis son mégot termine comme le mien, éclaté entre deux pavés somnolents ou dans le caniveau, là où vivent les parasites et les rats. Le fantôme en t-shirt blanc passe d’une pièce à l’autre puis le silence revient me prendre la main.
Au petit matin, je me retrouve en boule sur le béton froid du balcon, mon chat s’étirant impassiblement à mes côtés. Plusieurs canettes de bière se vident au bord du précipice. Une dizaine de bretzels décuvent pendant qu’une mouche verdâtre tente de s’emparer d’un grain de sel orphelin. Mon ordinateur témoigne de mes activités nocturnes. Un historique douteux. Des clips d’Oxmo Puccino. Un paiement paypal pour l’achat d’un vinyle de Joy Division sur Ebay. Un mail tendre envoyé à ma sœur. Un poème s’affiche encore sur l’écran.
À une passante. Baudelaire visiblement à cran est passé avec un pack de Heineken pour fêter l’aurore. Rimbaud, Verlaine et Mallarmé ne devaient pas être bien loin. Peut-être même que Brel et Gainsbourg se sont invités. Je ne me souviens de rien, si ce n’est de quelques vers intemporels.

« Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité 
?

Ailleurs, bien loin d’ici ! Trop tard ! Jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !
 »

Un toussotement gêné me sort de ma rêverie. C’est la luciole de cette nuit qui s’est transformée en colibri. Un débardeur bleu pastel recouvrant à peine un shorty blanc. Les ongles des pieds vernis d’un rouge intense. Des cerises pétillantes accrochées à une paire de tong au bord de la syncope. Je ne peux pas discerner la couleur de ses yeux, cachés derrière une paire de lunette de soleil au design des années soixante mais je découvre la gourmandise de ses lèvres comme des quartiers de pamplemousse juteux cachant une langue impatiente.

Suis-je encore en train de rêver ? Est-ce bien à moi que ce sourire aux fossettes d’un autre monde s’adresse vraiment ? Qui tient ce fil d’or invisible entre son immeuble et le mien où glisse un sortilège que seul les palpitants peuvent déchiffrer ? Où étais-tu toutes ces années ? Pourquoi maintenant alors que je ne peux pas t’approcher ?

Elle se couche sur un transat en plastique blanc relevant ses lunettes sur la tête. Le soleil, voyeur bien placé, se jette sur ses jumelles, devinant des yeux bleus, mais de si loin, il n’est plus certain de rien sauf d’une chose, nos regards se cherchent par intermittence entre les barreaux timides, témoins d’une harmonie exceptionnelle, de la naissance d’une nouvelle planète. L’alchimiste a frappé. Un truc chelou se passe à l’intérieur. Un volcan proche de l’éruption. La danse des lèvres qui se mordent inconsciemment et d’une main nerveuse qui joue avec le lobe d’une oreille déboussolée.

Elle est pourtant si proche et si loin de moi. Des fourmis remontent le long de mes mollets pour un pique-nique improvisé sur ma poitrine en PLS. Je ne suis plus qu’un chien fougueux qu’on tient en laisse. Amers papillons qui tournoient dans mon estomac brûlant, les ailes en feu, fous de ne pouvoir s’élancer de ma bouche pâteuse pour se poser sur la chevelure dorée qui se languit sur le balcon d’en face.
Les cendres de la passion se glissent dans chacun de mes membres fébriles comme une bière ambrée coule dans mes veines un soir d’été, lorsque nous n’étions pas encore séparés, collés aux tables en formica d’un bistrot bruyant, à refaire le monde jusqu’à ce que Morphée nous prenne dans ses bras infinis. Des flocons poussiéreux se mettent à tomber dans mes yeux éblouis, boules de neige artificielle que de là-haut, un être sadique s’emploie à secouer en continu. J’ai mal comme un toxicomane en sevrage cloitré dans un tunnel sans fin à la recherche d’une seringue charnelle. Une dose d’elle. Une overdose même. Un lion qui se meurt dans ma cage thoracique, rugissant son désir au plus profond de mes entrailles, prêt à être apprivoisé par la douceur de son cou, par la courbe se son corps, sculpté par l’ange de Rodin ou de Camille Claudel. Seul un être mystique a le talent nécessaire pour créer une âme aussi envoûtante. Je comprends maintenant pourquoi des marins se jettent dans la mer déchaînée sans la moindre hésitation à l’appel de sirènes hypnotisantes.

Il y’a cette cicatrice sur son genoux gauche que je découvrirai dans quelques semaines et ce grain de beauté discret sur sa cuisse qui n’aura plus le moindre secret. Il y’a ce téton fier qui pointe les nuages pour me montrer le chemin de la Voie lactée. Il y’a le parfum de sa peau sur la taie d’oreiller en soie. Il y’a son rire au petit matin et cette façon si particulière de bouder. Il y’a sa pudeur et ses doutes, des larmes pour un mot blessant que je n’aurais pas dû prononcer. Il y’aura des hauts et des bas, des assiettes cassées et des orgasmes fracassants pour les recoller. Il y’a cette tombe d’un amour passionné que nous commençons déjà à creuser mais j’ai envie de croire que les mégots savent voler.

8 avril 2020

Silence, on meurt.

 

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À ma sœur, à tous les soignants, toutes les soignantes et aux patient(e)s qui meurent dans l’anonymat.

Ma sœur, toi et moi nous parlons rarement de nos sentiments. La pudeur d’une éducation où se dire « je t’aime » était inconsciemment proscrit, à la limite sous-entendu et encore. Je me rends compte que je te connais si peu en fait. Ce ne sont pas les réunions de famille occasionnelles du dimanche, les fêtes de fin d’année ou les anniversaires qui me permettront de lire tes états d’âme à cœur ouvert, tes déceptions, ta colère ou ta tristesse. Je regrette de ne pas t’avoir consacré plus de temps et de ne pas avoir pris de tes nouvelles beaucoup plus régulièrement.

Hier, au début de la nuit, quelque chose d’inexplicable me poussa à la faire. Un SMS rapide pour savoir comment se déroule ton quotidien d’aide-soignante dans cet EHPAD du Haut-Rhin durant l’épidémie de coronavirus. J’étais loin d’imaginer ce qu’il se passe dans ce bâtiment fermé aux visiteurs actuellement. Une prison pour personnes âgées où le secret est de mise, où l’omerta règne afin de ne pas révéler l’horreur au grand public. Tout ça me semble si abstrait, comme les images de guerre en Syrie au journal télévisé qui paraissent si lointaines, anonymes,  détachées de ma réalité de privilégié.

Avec tes mots, tu m’as mis une claque d’une violence insupportable.

Tu venais de finir ta journée de travail dans cet établissement en manque de personnel bien avant cette actualité mortuaire. Le stock de masques et de gants ne permet plus à tous les membres de ton équipe d’aller rencontrer les résidents sans avoir la certitude de ne pas contracter ou de ne pas transmettre le virus. Trois de tes collègues sont contaminées mais continuent de travailler parce que comme tu le dis avec empathie, s’ils n’y vont plus, qui va s’occuper des fantômes recouverts d’un drap blanc dans ce mouroir. Les uns après les autres, dans l’indifférence la plus totale, ces papys et mamies disparaissent, sans leurs familles, sans pouvoir dirent au revoir, sans avoir le soulagement de quitter la folie de ce monde en tenant la main d’un mari, d’une femme ou d’un enfant.

« Tu sais ce qui va me rester ? Le visage et le regard d’une mamie avec le covid, en train de désaturer malgré l’oxygène et qui me dit « j’ai peur » et qui meurt trente minutes plus tard. Voilà, c’est ça nos journées. Je vais essayer de dormir un peu. »

Voilà la réalité. Passeuse d’âmes entre le monde des vivants et celui des morts. Tu es leur dernière vision, leur dernière source de réconfort, écoutant leurs dernières confessions, leurs dernières volontés puis ils s’en vont comme des lépreux pour finir froids, confinés dans des sacs en plastique pour cacher leurs visages figés.

Tu rentres chez toi en voiture au petit matin, l’esprit ailleurs, regardant la route sans vraiment la regarder, les yeux bleus de Thérèse, 83 ans, en tête. Un regard terrifié qui te demandait de l’aide. La peur de la faucheuse qui s’approche déjà au fond de cette pièce qui empeste l’haleine soufrée du diable. Tu imagines ce que ça fait de savoir que tu vas mourir et qu’une personne en blouse blanche en face de toi censée te soigner n’a pas les moyens de le faire parce que l’argent et le personnel manquent. Tu t’arrêtes sur le bas-côté et tu pleures, seule, la tête sur le volant, au point d’avoir du mal à respirer, au point d’avoir envie de vomir et d’en finir parce que tu cumules la souffrance en toi depuis trop longtemps. La souffrance, tu la prends dans tes bras, tu l’embrasses, tu la berces pour tenter de l’endormir, tu l’inspires comme une cigarette qui ne s’éteint jamais et qui noircit ton être tout entier.

Pour les administrateurs, ces patients  ne sont que des codes-barres, des produits, des marchandises, un seuil de rentabilité, un coût, de la compatibilité. Toi, tu connais chacun d’entre eux. Leurs envies. Leurs passe-temps. Leurs souvenirs. Leurs histoires. Les rides sur des visages marqués. La guerre. La fréquence à laquelle ils urinent, mangent et dorment. Le rythme du battement de leurs cœurs. L’odeur de leurs peaux fatiguées. Les cicatrices et les imperfections de leurs corps usés. La colère. Le désespoir. Tu es une éponge gonflée payée un peu plus que le smic qui aspire la fin d’une partie de l’Humanité, des images en noir et blanc par centaine qu’on jette dans un bac crasseux à côté d’une pile d’assiettes suspendue au ciel.

Alors taper des mains sur son balcon chaque soir à vingt heures n’est qu’un faible lot de consolation pour toi et tous les autres qui se saignent pour ne pas que nos petits vieux crèvent comme des chiens, les poumons noyés, cherchant un ultime deuxième souffle qui ne viendra jamais.

Combien de temps pourrez-vous tenir comme cela ? Quel sera votre état lorsque tout cela sera terminé ? Il y a et il y aura encore des burn-out, des dépressions, des suicides et des démissions dans ces métiers parce que vous vous sentez abandonné(e)s, livré(e)s à vous-même, pas seulement maintenant mais depuis toujours, depuis qu’on vous demande de faire toujours  plus avec toujours moins, depuis qu’on vous considère comme des agents de production, depuis que les urgences sont saturées et que des services ferment par manque de rentabilité.

La santé est-elle une marchandise ? Sommes-nous chez Amazon ? N’êtes-vous que des pions, des euros, des mendiants ?

On peut juger la grandeur d’une nation à la façon dont nous traitons nos soignants et nos aînés. Alors nous sommes un pays microscopique, une cocote minute qui explosera par notre inaction quand il sera trop tard, quand ces héros et ces héroïnes  ne pourront plus continuer de se rendre sur leurs lieux de travail, la boule au ventre, pour un salaire de misère, quand la génération qui arrive ne voudra plus se sacrifier pour une profession ingrate et déshumanisante, quand dans les écoles les instituteurs diront à leurs élèves de bien travailler afin de ne pas devenir caissier(e) , aide-soignant(e) ou infirmier(e).

«  Et quand y aura plus personne ? Ce n’est pas pour moi que je vais bosser, c’est pour les résidents qui sont en train de crever, parce que là ce n’est plus mourir, c’est crever et finir dans un sac. »

J’ai honte de ceux qui ne revalorisent pas vos salaires. J’ai de la haine contre ceux qui ne vous considèrent pas, qui ne vous écoutent pas et qui vous regardent vous dépatouiller en se chamaillant comme des enfants depuis les sièges confortables de l’Assemblée Nationale. J’accuse nos dirigeants successifs qui tournent la tête au lieu de vous regarder dans les yeux. J’accuse ceux qui vous jettent des miettes de pains en guise de reconnaissance comme si vous étiez des pigeons qu’on écarte à coups de pied. C’est égoïste, mais s’il devait arriver quelque chose de grave à ma sœur suite à l’exercice de son métier, je ne vous le pardonnerai jamais et je vous accuserai de mise en danger de la vie d’autrui comme l’a déjà fait un citoyen contre l’EHPAD de Mougins suite au décès de sa grand-mère. Depuis le 20 mars 2020, et en dépit de l’engagement et du volontarisme de toute l’équipe de l’établissement, 15 personnes âgées résidents dans cet établissement sont décédées.

Parce que ce silence tue. Il tue des vocations. Il tue des couples. Il tue des familles. Il tue sournoisement, à l’usure, dans le royaume d’aveugles qui pour rien au monde n’échangeraient leurs cols-blancs contre des blouses de la même couleur.

Ne devenez pas des bourreaux. Bougez-vous. Prenez conscience du sang sur vos mains. Ne les laissez pas mourir à petit feu et donnez-leur les moyens de travailler avec dignité, maintenant et après.

J’ai espoir que le temps venu, nous saurons nous mobiliser pour eux comme ils se mobilisent actuellement pour nous. Nous les soutiendrons localement,  dans la rue, devant les hôpitaux, les maisons de retraite, aux urgences, dans les médias, avec la voix d’artistes, de sportifs, d’intellectuels que nous n’entendons que trop peu actuellement sur le sujet.

Après la révolte des gilets jaunes, celle des gilets blancs.

Nous avons besoin de meneurs emblématiques, pour que la sauce prenne, de personnalités charismatiques, de nouveaux Daniel Balavoine, Coluche, mais aussi de millions de petites fourmis perchées sur leurs épaules pour leurs crier notre soutien et notre détermination.

Mais attention, après les bonnes paroles sera venue le temps de mesures concrètes, parce que qui sème le vent récolte la tempête. Ma sœur, pour toi et tes collègues, je serai l’un des souffles qui donnera naissance à un ouragan, à un tsunami, à un cyclone. Merci pour ce sacrifice. Prends soin de toi. Pendant que j’écris ce message, tu es au chevet d’un ange en devenir dont les ailes se mettent à pousser entre deux spasmes.

Je pense à toi et je suis fier de la  personne exceptionnelle que tu es du haut de tes 27 ans. Je t’aime et nous sommes des millions à t’aimer.

30 mars 2020

Goodbye, Strasbourg!

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J’ai attendu ce moment toute la semaine, engourdi derrière un ordinateur portable, à saisir des lignes de chiffres, à vérifier des comptes, à mettre du sens dans une forêt de nombres muets, à en arriver à me prendre pour Keanu Reeves dans Matrix. Une paire de lunette de soleil et une veste en cuir, un pantalon à chaînes moulant, prêt à arrêter les balles d’un fusil à pompe à mains nues. Il a de la gueule le gestionnaire comptable pré-gothique trempant un pavé breton dans son thé froid au gingembre.

Dans quelques minutes il sera dix-huit heures. Le week-end. Sortir, enfin. Oublier le télétravail. Sentir le soleil autrement qu’au travers d’une vitre sale. Caresser les barrières des maisons avec la main. Respirer à pleins poumons et observer les premières fleurs s’ouvrir sur le cerisier du voisin. Il est plus que temps d’aller me doucher et de m’apprêter pour aller séduire la vie. Mon pantalon de jogging et mon sweat finissent dans le bac à linge, rejoints par une paire de chaussettes en boule qui roule entre un slip épuisé et un t-shirt à l’effigie de Serge Gainsbourg.

« Je suis venu te dire que je m’en vais – Et tes larmes n’y pourront rien changer – Comme dit si bien Verlaine au vent mauvais – Je suis venu te dire que je m’en vais ».

La paroi se referme comme dans un vaisseau spatial. Décollage immédiat. L’eau brûlante se dépose sur ma nuque, lave réconfortante détendant chacun de mes muscles trop tendus jusqu’à l’arrivée crispante d’une mousse parfumée aux arômes chimiques de noix de coco. Déjà petit, je ne supportais pas d’avoir du shampoing à la fraise sur le visage. Ça me rendait fou, pensant que j’allais mourir étouffé par un Malabar visqueux, je recrachais les quelques gouttes avalées par surprise, faisant des bulles avec mon nez et insultant ma mère en la menaçant avec un canard en plastique ou une brosse à dents.

Un coup de déodorant. Le passage express d’un coton-tige et quelques sprays de parfum. Le Mâle de Jean-Paul Gautier. Le rasoir trace le contour d’une barbe de trois jours avec application. Respecter les pointillés et ne pas sortir du cadre de son menton avec le feutre à la lame acérée. Trop d’excitation. De minuscules planètes rouges apparaissent sur un cou irrité qui ressemble d’avantage à une amanite tue-mouches sanguinolente dorénavant. Quelques bouts de papier-toilette soulageront l’hémorragie de la galaxie de la chair meurtrie.

Un baiser sur la tête du chat et la porte claque déjà pendant que la buée sur le miroir se meurt à petit feu dans la salle de bain.

Un Redbull à la myrtille savamment dilué avec un fond de vodka dans la main. Une clope dans la bouche. La sensation d’être un homme nouveau dans une chemise qui sent le printemps. Je me dirige vers le point de rassemblement, là où la musique se fait entendre dans ma tête. Plus j’avance, plus les basses raisonnent dans ma cage thoracique. J’imagine le DJ qui mixe sur une platine infinie, une casquette sur la tête et la foule qui hurle le poing levé. La sueur sur les corps moulés. Les cheveux collants. Les corps agités comme des métronomes en harmonie.

Berghain, prends-moi dans tes bras et mange-moi jusqu’au petit matin. Je veux ressortir de tes entrailles totalement vidé et desséché.

Devant le bâtiment, nous sommes des dizaines à attendre notre tour. Une liasse de billets dans la poche, histoire de ne pas être pris au dépourvu. Un toxico me tend la main pour me gratter une pièce. Le dealer n’est pas loin et déballe discrètement son stock de Donald Trump. 10 euros le cacheton d’amour qui fait danser toute la nuit ou qui rend fou toute une vie. Je ne tiens pas en place, ondulant de tout mon être, une main dans la poche et l’autre finissant ma canette qui atterrit dans une poubelle pleine à ras-bord.

Nous avançons au compte-goutte sous l’ordre de Sven Marquart, un videur intransigeant qui peut refuser l’entrée de n’importe quelle personne au comportement inapproprié. Un fêtard sort. Un autre entre. Nous devons respecter les distances de sécurité et j’arbore mon plus beau sourire pour ne pas me faire recaler. Je peux sentir l’atmosphère à l’intérieur.

Techno – Techno minimale – House – Acid Indus – Marcell Dettmann – Kobosil – Rodhad – Steffi – I:Cube.

Je suis presque arrivé devant la porte, en transe. Il y a de plus en plus de monde derrière moi. Je fixe le sol en bougeant la tête. Je revis.

Une main se pose sur mon épaule.

« Oh, tu fais quoi ? Tu rentres ou pas ? J’ai pas que ça à faire, les gamins m’attendent à la maison et je n’ai pas d’autorisation de circuler sur moi ».

Mon visage se décompose.

L’agent de sécurité  m’ordonne d’avancer, la bouche recouverte d’un masque maintenant. Les mains emballées dans des gants en latex, il me montre l’affiche collée sur la façade en me demandant de respecter les consignes. Me suis-je trompé de soirée ? Est-ce un club échangiste ou sadomasochiste ?

« Ne restez pas trop longtemps à l’intérieur pour que tout le monde puisse en profiter. Quatre paquets de farine et deux packs d’eau par personne, pas plus. Ne collez pas le chariot de la personne devant vous et toussez dans votre coude».

La chute est rude. Auchan de la Meinau, 28 mars 2020.

J’y ai cru jusqu’au bout, conditionné par le désespoir du confinement. J’ai les larmes aux yeux quand je me rends compte que le poissonnier fait office de DJ. Personne ne m’empêchera de rêver. Mon casque sur la tête, Spotify à fond dans les oreilles, la liste des courses dans la main. Il y a cette fille qui me fait un grand sourire en pesant un sac de raisins. Elle est dans le même monde que moi. Ça se voit à ses yeux dilatés qui reflètent la dimension dansante des illuminés.

Good Bye, Lenin ! en plein cœur de Strasbourg. Le monde a changé. Quelqu’un a sans doute oublié de me réveiller. Le Coronavirus – Les morts-vivants faisant la queue pour s’alimenter – La police qui verbalise les fugitifs – La ville abandonnée.

Un scénario digne d’un opéra gore de Jim Jarmusch avec au casting, Bill Murray et Tida Swinton.

Tout ça n’est qu’un mauvais rêve. Même entre les boîtes de choucroute, les pots de yaourts et les paquets de Sopalin, nous sommes des millions d’amnésiques cloîtrés dans nos appartements  à continuer à entendre le battement de cœur sensuel de BERLIN.

 

10 mars 2020

STRAS WARS

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Le virus couronné d’or s’impose dans les corps des plus fragiles, colosses ridés aux poumons d’argile hésitant à sortir faire quelques bises, biaisés par les hyènes enragées de BFM TV. Le confinement dans les appartements trop petits de ceux qui côtoyèrent le diable dans une église, un samedi à Mulhouse ou un postillon apocalyptique passé par là, au hasard d’un baiser sensuel avec la barre du tram A.

 

Le diable s’habille en Corona et en Prada.

 

L’Italie, la Chine et les USA, s’apparentent désormais à un décor de film de science-fiction tout comme l’Alsace, où la vie est en pause, recherche des figurants pour le remake de Dune ou de Blade Runner, les vaisseaux spatiaux en moins, le gel hydroalcoolique en plus. Ridley Scott, Georges Lucas et David Lynch se frottent les mains, sirotant un verre de blanc au bar du Kammerzellgrattant le scénario d’une nouvelle saga peuplée de monstres à l’accent alsacien et de knacks aux masques chirurgicaux armées de sabres-laser.

 

Ça aurait de la gueule. Après Alien, La Guerre des étoiles, Seul sur Mars :

 

STRAS WARS, la menace fantôme.

 

Pendant ce temps-là, le laboratoire Boiron annonce la suppression de 600 postes en France et des femmes levant le poing pour obtenir plus de droits prennent ceux de Robocop carapacés en plein visage. Le bleu de l’uniforme qui marque le visage de coquards jaunes et rouges. La cocarde républicaine tuméfiée saigne un arc-en-ciel détestable puant le gaz lacrymogène  sur lequel la peste se promène en trottinette électrique, s’emparant insidieusement des esprits plus que des chairs.

 

LE CÔTÉ OBSCUR DE LA FORCE, REDOUTER NOUS DEVONS.

 

Le mal n’est pas toujours là où l’on aimerait nous faire croire qu’il se trouve et même ceux qui ne l’ont pas commencent à la porter dans leur cœur.

 

Strasbourg n’est pas encore Oran, même si la pandémie n’est pas à prendre à la légère. Camus a encore le temps de réfléchir à son prochain roman, mais d’ici-là, concentrons-nous sur le présent .

 

SE LAVER LES MAINS ET SE SOUCIER DE SON VOISIN.

 

Outre-Rhin, les frontières se ferment à coup de thermomètres et l’hystérie collective s’empare des rayons de supermarchés dévalisés par des survivalistes qui se préparent au pire, empilant des paquets de Spaetzle, de farine et de sucre dans des HLM aux allures de bunkers aseptisés.

 

Quitte à faire des réserves de denrées vitales et impérissables, autant faire un stock de Picon, de bretzels, de Meteor et de Doliprane.

 

L’humanité n’a pas attendu le Coronavirus pour se mettre en quarantaine. Malgré les réseaux sociaux, la surinformation, la surconsommation, l’échange de mails ou de textos par milliards, nous sommes plus que jamais seuls au monde derrière nos écrans. Seuls à plusieurs en somme, à chercher la vie sur Mars en PLS, orphelins  de paroles, de contacts physiques, de regards, de tendresse, de compassion, de sourires, d’humanité.

 

C’est bien ça, la mal du siècle.

 

Le retranchement – Le communautarisme – La peur de l’autre – Le désespoir – L’égoïsme  et non pas un virus qui tue moins  de personnes chaque année que des scorpions, des éléphants, des abeilles, des lions, des méduses  et des requins que nous massacrons par millions sans scrupules. Une vie n’a pas moins de valeur qu’une autre mais nous pleurons nos morts bien arbitrairement.

 

Nous sommes paradoxaux.

 

Nous sommes David Bowie, La Joconde, Tomi Ungerer, le gin tonic , Games of Thrones, Andy Warhol, l’éclair au chocolat, Pink Floyd, Les Nymphéas de Claude Monet, le Roquefort, Pulp Fiction. 

 

Nous sommes la corrida, la xénophobie, la bombe atomique, les camps de concentration, l’intégrisme, la corruption, la tuerie à Orlando, les pesticides, la pollution, le gaz sarin,  l’islamophobie, la destruction, le viol, la déforestation, Charles Manson, l’encéphalopathie spongiforme bovine, l’attentat de Strasbourg,  les feux de forêts en Australie, l’expérimentation animale au centre de primatologie de Niederhausbergen.

 

Nous sommes l’espèce la plus néfaste sur cette planète alors que nous ne représentons que 0,01% de toutes les formes de vie présentes sur Terre. Notre activité dominante a causé la disparition de 83 % des mammifères sauvages et de la moitié des plantes. Covid-19 n’y est pour rien et n’arrivera jamais à notre niveau de destruction. R2-D2 tourne la tête, nauséeux, voyant le reflet de Dark Vador dans les yeux de l’humanité.

 

Nous sommes pourtant dotés de raison et d’une intelligence supérieure parait-il. La raison du plus fort et pas l’intelligence du coeur en tous cas.

 

Utilisons-la à bon escient pour inventer un vaccin contre la  stupidité composé d’empathie, de tolérance et de fraternité, sinon, quel monde allons-nous laisser à nos Baby Yoda ?

 

LE VIRUS C’EST NOUS.

 

 

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